Article co-écrit par Gaël Caro, Simon Maudet, Benoît Poss et Ronan Marrec
Les pucerons constituent une menace majeure pour les cultures agricoles, en particulier la betterave. Ces insectes ravageurs, dont le puceron noir de la fève (Aphis fabae) et le puceron vert du pêcher (Myzus persicae), se nourrissent de la sève des plantes, causant des dommages directs tels que le jaunissement et la déformation des feuilles, ainsi qu'un retard de croissance. En outre, ils sécrètent du miellat qui peut attirer d'autres ravageurs et favoriser le développement de la fumagine, une maladie fongique. Différentes stratégies de lutte contre les pucerons sont utilisées pour protéger les cultures de betteraves.
L'intensité du paysage est un facteur majeur de la biodiversité et du fonctionnement des écosystèmes dans les paysages agricoles, et est souvent utilisée pour informer sur la qualité de l'environnement. Elle est généralement décrite par la seule couverture des sols, les pratiques agricoles étant supposées être en corrélation avec les types de cultures. Malgré leur impact potentiel sur la qualité des champs, la distribution des pratiques agricoles à l'échelle du paysage est mal comprise, en raison de la difficulté d’acquisition de ces données et de l'absence de méthodes permettant de résumer les nombreuses pratiques agricoles au niveau du champ et du paysage. L'objectif principal de notre projet était de développer une approche de modélisation qui synthétise l'intensité des pratiques agricoles au niveau du champ et du paysage et d’en comprendre les impacts sur la prévalence de la jaunisse de la betterave. En outre, nous avons cherché à évaluer l'importance de prendre en compte les pratiques agricoles en plus de l'occupation du sol lors de l'étude de la qualité du paysage. En utilisant des données d'enquête recueillies dans deux régions agricoles françaises contrastées, nous avons sélectionné et résumé les composantes de l'ACP à l'aide d'une équation adaptée de Herzog et al. (2006) pour calculer des indices d'intensité des pratiques intégrant les niveaux de fertilisation, de produits phytosanitaires, de travail du sol, de fauchage/récolte, ou de toutes les pratiques. Nous avons constaté des différences significatives entre les intensités d'occupation du sol, qui n'étaient pas corrélées en fonction du niveau de pratique considéré.
En outre, pour des cultures similaires, nous avons constaté des différences significatives entre les zones. Cela montre que l'occupation du sol peut ne pas être un bon indicateur de l'intensité de la pratique. En outre, la structure du paysage décrite par la diversité des parcelles diffère sensiblement selon les systèmes de classification étudiés et dépend du nombre de classes d'intensité considérées, que nous avons assimilé à la sensibilité d'une variable de réponse. Ainsi, l'intensité du paysage basée sur l'occupation du sol ne décrit pas non plus efficacement celle causée par les pratiques agricoles.
Le niveau de jaunisse dans 32 champs de betteraves sucrières a été surveillé dans le nord de la France (45°01'N - 0°43'E à 50°55'N - 4°54'E). La proportion de betteraves sucrières infectées par la jaunisse dans le champ a été enregistrée pendant la période de culture 2020, chaque semaine, avant la récolte en septembre et octobre. La période de culture a été définie comme allant de la préparation du sol à la récolte. Nous avons considéré la valeur maximale de jaunisse pour chaque champ ainsi que les pratiques agricoles qui ont été utilisées pendant la période de culture 2020 par le biais d'une enquête. Cette enquête a été adressée aux agriculteurs des parcelles de betterave suivies et aux agriculteurs gérant les parcelles dans un rayon de 500 mètres alentours. 94 agriculteurs, pour un total de 686 parcelles, ont accepté de participer à l'enquête, par téléphone ou sur leur exploitation. En moyenne, 66,0±20,6 % de la superficie totale du paysage autour des 32 parcelles de betterave a été renseigné avec succès. Trois catégories de pratiques ont été étudiées : (1) la fertilisation, (2) les pesticides et (3) le travail du sol. Les indices d'intensité ont été calculés sur la base de la méthode présentée dans Maudet et al. (article en révision).
Afin d'étudier l’étendue paysagère qui influence le plus la prévalence de jaunisse, nous avons calculé les indices d'intensité du paysage dans un rayon allant de 50 m à 500 m, par pas de 50 m. Pour ce faire, nous avons calculé la moyenne de l'intensité des parcelles pondérée par leur surface dans l’étendue paysagère considérée, pour chaque paysage. En outre, nous avons calculé la proportion des principales occupations du sol (céréales, betteraves sucrières, prairies, pommes de terre, colza et lin). Pour chaque étendue paysagère, nous avons analysé le pouvoir explicatif des variables paysagères sur le taux de jaunisse, et avons sélectionné l’échelle spatiale la plus explicative.
Les modèles ainsi générés nous ont permis de mettre en évidence que certaines pratiques locales et paysagères pouvaient favoriser le taux de jaunisse de la betterave. Les variables qui favorisaient la jaunisse étaient l’intensité des insecticides dans les parcelles de betteraves échantillonnées, ainsi que les intensités de fongicide et d’insecticide dans le paysage autour des parcelles de betterave. De plus, l’augmentation de la surface en céréales et en colza dans le paysage semble également favoriser le taux de jaunisse. Compte tenu de l’écologie des pucerons, notre hypothèse, au vu de ces résultats, est que ces pratiques défavorisent les communautés d’auxiliaires de culture pouvant réguler les populations de pucerons, principaux vecteurs de la jaunisse de la betterave. Ces résultats sont à corroborer à des données entomologiques fiables. Par conséquent, nous préconisons de nouveaux suivis afin de quantifier simultanément les pratiques agricoles dans les parcelles de betteraves et dans un rayon de 300m, le taux de jaunisse, la quantité de pucerons et les communautés d’auxiliaires dans les parcelles de betteraves.