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Récents progrès sur l’utilisation des images satellitaires pour évaluer la sévérité de la jaunisse au niveau parcellaire

Samuel Soubeyrand et César Martinez présentent les progrès réalisés sur l'utilisation des images satellitaires dans le cadre du projet SEPIM du PNRI.

 

Article co-écrit par Samuel Soubeyrand et César Martinez (INRAE, BioSP, 84914 Avignon, France) 

 

Résumé 

 

Une approche agroécologique des risques phytosanitaires nécessite la mise en œuvre d’actions diverses relevant d’abord de dispositifs prophylactiques et de leviers agronomiques mais aussi de systèmes assurantiels pour compenser les éventuelles pertes de rendements liées aux aléas sanitaires. Pour que ces actions soient efficaces et économiquement viables, il est nécessaire d’améliorer le niveau d’informations que l’on a sur le pathosystème "jaunisse de la betterave" et le système de production de la betterave sucrière. Les projets du PNRI (Plan National de Recherche et Innovation) "vers des solutions opérationnelles contre la jaunisse de la betterave sucrière" (https://www.itbfr.org/pnri/) et le projet SEPIM en particulier (https://pse.mathnum.inrae.fr/sepim) contribuent à cet objectif. Dans cet article nous décrivons l’une des approches développées dans le cadre du projet SEPIM : l’estimation de la sévérité de la jaunisse au niveau parcellaire à l’aide d’images satellitaires. De telles images offrent la possibilité de considérer un très grand nombre de parcelles à un grand nombre de dates. Elles pourraient ainsi offrir la possibilité de faire un suivi à grande échelle des épidémies de jaunisse. Ce suivi "haut-débit" pourrait notamment permettre d’améliorer notre connaissance des facteurs de risque et de l’état sanitaire des parcelles (et donc de quantifier l'effet de l’application des mesures prophylactiques et traitements tactiques), d’anticiper les pertes au cours de la saison de culture, et d’évaluer a posteriori et à l’échelle de la parcelle les dommages (évaluation possiblement informative dans le cadre de systèmes assurantiels). Les résultats que nous avons obtenus (et qui sont présentés dans cet article) sont encourageants et la méthode proposée pourrait potentiellement être appliquée dans un cadre opérationnel.

 

Améliorer l'information sur la sévérité de la jaunisse à l'aide d'images satellitaires 

 

Les modifications passées ou à venir des réglementations concernant l'usage de produits phytosanitaires ayant des effets néfastes sur l’environnement et/ou la santé des animaux non cibles (y compris l’homme et les pollinisateurs), font réémerger d’anciennes problématiques en santé des plantes et en génèrent de nouvelles. Ainsi, l’interdiction de l’utilisation des néonicotinoïdes a renforcé les risques phytosanitaires engendrés par les jaunisses de la betterave, tout en préservant et favorisant la biodiversité dans et autour des espaces concernés. Ceci nécessite donc la mise en oeuvre de nouveaux systèmes de production. 

 

Une approche agroécologique de ces risques nécessite la mise en œuvre d’actions à plusieurs niveaux, étalées dans le temps, hétérogènes en espace, adaptées aux évaluations des risques et de leur évolution. Les dispositifs prophylactiques, les traitements tactiques, les systèmes assurantiels et d’indemnisation sont autant d’actions qui peuvent contribuer à la mitigation des risques qui pèsent sur la production et les producteurs de betteraves sucrières. Pour que ces actions soient implémentées de manière efficace, avec un coût relativement réduit, il est nécessaire d'augmenter le niveau d'information dont on dispose sur les différentes phases du cycle épidémiologique du pathosystème "jaunisse de la betterave", ainsi que sur les différentes phases du cycle de production de la betterave sucrière.

 

Les projets du PNRI (Plan National de Recherche et Innovation "vers des solutions opérationnelles contre la jaunisse de la betterave sucrière" ; https://www.itbfr.org/pnri/) contribuent à améliorer ce niveau d’information. En particulier, le projet SEPIM (https://pse.mathnum.inrae.fr/sepim) vise à mieux prédire dans l’espace et dans le temps différentes variables relatives à l’abondance de pucerons et la sévérité de la jaunisse, prédictions qui peuvent ensuite être utilisées soit pour qualifier l'effet de meures prophylactiques, soit pour appliquer au mieux les actions susmentionnées. Si une large partie des travaux menés dans le projet SEPIM consiste à prévoir les risques futurs, d’autres correspondent à identifier les facteurs de risque, évaluer l’efficacité des traitements, ou encore reconstruire la progression de la jaunisse dans le passé, au niveau d’une parcelle ou sur de vastes territoires.

 

Être en mesure d’estimer a posteriori la sévérité de la jaunisse dans chaque parcelle, en particulier en fin de saison, permet de produire des informations qui peuvent être mobilisées pour renseigner les solutions d'assurance ou d'indemnisation. Différents types d'observations peuvent aider à une telle estimation, notamment la vision humaine, les caméras de smartphones, les caméras de drones, les images satellites, les tests diagnostiques appliqués aux plantes et aux insectes vecteurs, ou encore les données de rendement. Dans le cadre du projet SEPIM, nous testons des approches visant à associer observations visuelles de la sévérité de la jaunisse faites par des opérateurs visitant les parcelles (offrant une "vérité terrain", dont la précision esr difficile à qualifier) et images satellites (offrant une large couverture spatiale) ; voir Encart 1. Ces données sont utilisées pour reconstruire les courbes de progression de la jaunisse, comme illustré par la Figure 1, et déterminer si la sévérité de la jaunisse a dépassé une valeur seuil.

 

 

Encart 1 : La jaunisse de la betterave tient son nom d’un de ses symptômes caractéristiques : les plans de betterave malades ont des feuilles qui ont tendance à jaunir. Cela permet d'opérer une distinction visuelle en tenant compte de ce symptôme, et de suivre la progression de la maladie en fonction de la présence de feuilles jaunes. Étant donné cette symptomatologie particulière, la télédétection est un outil de suivi prometteur afin de générer des données abondantes, à grande échelle et potentiellement en temps réel. L’étude résumée ici aborde le suivi de la sévérité de la jaunisse qui représente une mesure définie au niveau de la parcelle : le pourcentage de plants jaunis dans l’ensemble de la parcelle.

 

 

Figure 1. Schéma de l’approche associant 1) observations visuelles de terrain de la sévérité de la jaunisse faites par des opérateurs visitant les parcelles et 2) images satellites ayant le potentiel de couvrir toutes les parcelles de betterave d’une zone considérée, afin de reconstruire les courbes de progression de la jaunisse dans toutes les parcelles de la zone en question, y compris celles pour lesquelles aucune observation de terrain n’est disponible.

 

Quantifier la sévérité de la jaunisse

 

Pour la reconstruction des courbes de progression de la jaunisse, nous avons utilisé d’une part 1528 observations visuelles de la jaunisse réalisées sur 621 parcelles au cours de 5 années, de 2017 à 2021 (voir Figure 2), et d’autre part les images satellitaires Sentinel-2, images qui sont libres d’accès. Ces images sont disponibles tous les 2 à 3 jours pour tout site localisé au nord de la France où se situent les parcelles observées, mais en pratique de nombreuses images sont inexploitables du fait de la présence de nuages. Les images offrent 13 bandes spectrales (dont les bandes visibles bleu, vert et rouge) avec, au mieux, une résolution spatiale de 10m. Au total, nous avons pu former 2046 couples parcelles x dates pour lesquels nous avons une observation de terrain et une observation satellite, avec un décalage temporel moyen entre ces deux observations de six jours et demi. A partir des images, nous avons calculé une soixantaine d’indicateurs utilisés comme variables explicatives de la jaunisse observée sur le terrain.

 

 

Figure 2. Carte des observations visuelles de la sévérité de la jaunisse collectées de 2017 à 2021.

 

 

Figure 3. Résultats des prédictions du modèle entrainé sur 70 % du jeu de données (rouge ; training) et testé sur les 30 % restants des observations (bleu ; validation). A gauche : sévérité observée versus sévérité prédite. Au centre : probabilité que la sévérité soit égale à 0 % pour les observations positives (boxplot de gauche) et les observations nulles (boxplot de droite). A droite : probabilité que la sévérité soit égale à 100 % pour les observations plus petites que 100 % (boxplot de gauche) et les observations égales à 100 % (boxplot de droite).

 

Le modèle que nous avons développé a été "entrainé" sur 70 % du jeu de données et a été "testé" sur les 30 % restants des observations. Il fournit pour chaque observation une probabilité que la sévérité soit nulle, une probabilité que la sévérité soit égale à 100 %, et une prédiction de la sévérité (entre 0 et 100 %). On observe sur la Figure 3 une tendance assez cohérente entre observations et prédictions (graphe à gauche) mais une incertitude de prédiction relativement grande. Les probabilités que la sévérité soit égale à 0 % ou 100 % sont en général assez élevées lorsque la sévérité observée vaut effectivement 0 % ou 100 % (cf. les deux graphes à droite).

 

Déterminer si la jaunisse dépasse un seuil de sévérité

 

En utilisant les données précédemment mentionnées, ainsi que des données similaires collectées en 2023, nous avons développé un modèle permettant de prédire si la sévérité était au-delà d’un seuil donné, par exemple 15 %, en août 2023. Si le dépassement d’un tel seuil est corrélé à une perte de rendement significative du fait de la jaunisse, cette information pourrait être un des éléments utilisés par un éventuel assureur pour verser ou non une indemnité au producteur. Pour les 356 couples parcelles x dates correspondant à août 2023 que nous avons pu former, nous avons ainsi prédit si le seuil a été dépassé ou ne l’a pas été, en considérant un seuil égal à 10 %, 15 % ou 20 %. La Figure 4 indique que la sévérité est très fréquemment plus grande que le seuil lorsque l’on prédit un dépassement de seuil et, a contrario, qu’elle est très fréquemment inférieure au seuil lorsque l’on prédit que le seuil n’est pas dépassé, et ce quel que soit le seuil. Il y a cependant une zone d’erreur possible pour des sévérités entre 0 et 20 %. De nombreux critères peuvent être utilisés pour qualifier le taux d’erreur ou la performance de la prédiction. Si l’on considère la précision rééquilibrée de la classification (balanced accuracy en anglais), qui gomme le déséquilibre entre les nombreux 0 (non-dépassement du seuil) et les rares 1 (dépassement du seuil), on obtient une valeur d’environ 0.92 (la meilleure valeur possible de ce critère étant 1). Une telle valeur est tout à fait satisfaisante compte-tenu de la relative faible résolution spatiale des images satellitaires utilisées.

 

 

Figure 4. Boxplots représentant les distributions de la sévérité observée lorsque l’on prédit que le seuil n’est pas dépassé (Prédiction = 0) ou lorsque l’on prédit un dépassement de seuil (Prédiction = 1), et ce pour un seuil égal à 10 % (à gauche), 15 % (au centre) et 20 % (à droite).

 

Perspectives : améliorer les algorithmes et passer à l'échelle dans une optique opérationnelle

 

Des améliorations algorithmiques peuvent encore être apportées, mais les résultats présentés dans cet article sont encourageants, en particulier lorsque l’on cherche à déterminer si un seuil de sévérité a été dépassé ou non en fin de saison de culture. D’autres améliorations pourraient reposer sur l’utilisation d’images satellitaires à plus haute résolution que celles fournies par le système Sentinel-2, ou encore sur une "vérité terrain" plus précise grâce à la quantification de la sévérité à l’aide de photographies prises par des drones. Les indications que l’on est en mesure de donner pourraient être utilisées comme l’un des éléments servant à calculer des indemnisations dans un dispositif assurantiel. Cependant, il faut pouvoir passer à l’échelle en récoltant les images satellites pour un grand nombre de parcelles (et pas seulement celles inspectées par des opérateurs). Dans cette perspective, le point le plus critique est d’être en mesure d’avoir les contours de toutes les parcelles susceptibles d’être incorporées dans le dispositif assurantiel. Un autre point critique est le lien pas complètement déterministe entre d’une part la sévérité telle que mesurée sur le terrain et donc prédite via les images satellitaires, et d’autre part les pertes de rendement. L’intégration de données de rendement dans nos analyses pourrait permettre de mieux prendre en compte la différence entre sévérité et rendement.

 

Cette étude contribue à la détermination d’indicateurs divers pour une surveillance améliorée des dangers phytosanitaires (Morris et al., 2022) et la mise en œuvre de mesures prophylactiques ou de compensations qui en découlent. Elle offre également en perspective la possibilité de constituer des jeux de données extrêmement riches puisque, grâce aux données satellites, nous pourrions évaluer la sévérité de la jaunisse pour un très grand nombre de parcelles et un grand nombre de dates. L’accès à de tels jeux de données pourrait encore améliorer notre évaluation des facteurs de risques de la jaunisse (Chauvin et Soubeyrand, 2023), notamment en tenant compte de la grande échelle spatiale et de la grande variabilité des conditions environnementales et de production, deux éléments difficiles à appréhender jusqu’ici. De telles données sont aussi prometteuses pour mieux comprendre les dynamiques spatio-temporelles de contamination en tenant compte de l’origine des pucerons impliqués (longue distance versus courte distance) et de l'état des réservoirs viraux de proximité. Dans l’optique d’étudier les leviers d’action sur les systèmes productifs, un tel jeu de données pourrait être valorisé dans des approches d’agrégation de données complémentaires à grande échelle : il donnerait en effet accès à de nombreuses "situations" (correspondant à différentes conditions relatives à l’environnement, aux pratiques, aux traitements…) et permettrait d’explorer et comparer statistiquement la performance de divers leviers d’action en conditions réelles et variables.

 

Références 

 

Chauvin D., Soubeyrand S. (2023). Explorer les facteurs de risque de la jaunisse de la betterave. hal-03923229. https://hal.inrae.fr/hal-03923229

 

Morris C.E., Géniaux G., Nédellec C., Sauvion N., Soubeyrand S. (2022). One Health concepts and challenges for surveillance, forecasting, and mitigation of plant disease beyond the traditional scope of crop production. Plant Pathology 71:86-97. https://doi.org/10.1111/ppa.13446

 

Remerciements 

 

Les données de terrain et satellitaires utilisées pour les analyses décrites dans ce document ont été fournies par l’ITB. Ces analyses ont été menées dans le cadre du projet SEPIM (https://pse.mathnum.inrae.fr/sepim, 2021-2024), lauréat de l'appel à projets "Lutte contre les viroses des grandes cultures" de FranceAgriMer (projet N°3890396). Ce projet est financé dans le cadre du volet agricole du Plan de Relance et s'inscrit dans le Plan National de Recherche et Innovation (PNRI) "vers des solutions opérationnelles contre la jaunisse de la betterave sucrière" (https://www.itbfr.org/pnri/). Cette recherche s’appuie également sur des développements conceptuels et méthodologiques conçus dans le cadre du projet BEYOND (20-PCPA-0002).

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Agrément conseil de l’ITB à l’utilisation des produits phytosanitaires n° 7500002.
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