Article co-écrit par Thierry CANDRESSE et Armelle MARAIS (Univ. Bordeaux, INRAE, UMR 1332 BFP), Amélie MONTEIRO (ITB), Yannis NIO et Jean-Christophe SIMON (INRAE, UMR IGEPP)
En France, les jaunisses de la betterave sont provoquées par 4 virus appartenant à des familles distinctes et transmis selon des modes différents. Leurs vecteurs sont des pucerons dont l’espèce majeure est Myzus persicae, même si Aphis fabae pourrait éventuellement jouer un rôle important dans les épidémies de jaunisse. Le spectre d’hôtes de M. persicae comprend plus de 400 espèces cultivées et sauvages appartenant à 40 familles botaniques différentes. Bien qu'A. fabae se nourrisse principalement sur les fabacées, on peut le trouver sur plus de 200 espèces de plantes appartenant à 120 familles botaniques différentes. Cette large gamme de plantes-hôtes pose un sérieux défi pour l’identification des réservoirs tant des virus de la jaunisse que de leurs pucerons vecteurs, ce qui limite la capacité à développer des stratégies de contrôles basées sur la prophylaxie.
En complément des travaux menés dans le cadre des projets ProViBe et Resaphid financés par le PNRI, le projet BeetRes s'est attaché à caractériser le virome de plantes cultivées (dont le colza) et sauvages, de betteraves porte-graines ou de repousses de betteraves qui pourraient constituer autant de réservoirs viraux. Il a également cherché à caractériser les populations de pucerons éventuellement présentes sur ces différentes espèces végétales afin d'identifier des plantes pouvant à la fois héberger les virus et être hôtes des pucerons. Il s'agissait donc bien d'un projet visant à identifier et à commencer à évaluer l’importance respective des différents réservoirs potentiels sur l’incidence de la maladie avec comme but ultime d'inclure la gestion de ces réservoirs dans les stratégies de gestion. BeetRes s'appuyait pour cela sur un échantillonnage intensif des pucerons et de leurs plantes-hôtes à des moments critiques de la culture de la betterave.
Sur la base d’une analyse bibliographique et des résultats acquis par le projet Resaphid, nous avons sélectionné pour le projet BeetRes une liste d’environ 20 espèces végétales expérimentalement démontrées comme sensibles aux virus de betterave et identifiées dans Resaphid comme susceptibles d’être des réservoirs de pucerons. Un échantillonnage de ces espèces (pools de 50 plantes/espèce/site) a été organisé par INRAE et l’ITB début avril 2023 dans 4 sites de bassins de production de betterave (Normandie, Somme-Oise, Champagne, Centre Val de Loire). Des prélèvements ont également été effectués au même moment sur des betteraves porte-graines et des cordons de déterrage de façon à tester la possibilité d’un cycle épidémique des virus de la jaunisse entièrement réalisé sur betteraves, ainsi que dans les populations de betteraves maritimes (Beta maritima). Les pucerons présents sur les diverses plantes échantillonnées ont également été prélevés pour génotypage. Pour les virus, une analyse du virome à partir de pools de plantes constitués pour chaque espèce réservoir potentiel a été conduite. Cette approche non ciblée permet en effet de détecter l’ensemble des variants viraux circulants, y compris ceux qui ne seraient pas détectés par des méthodes sérologiques ou moléculaires classiques.
Les résultats obtenus au cours du projet BeetRes montrent :
- La présence fréquente de BYV et BtMV dans des populations de B. maritima collectées, mais pas de BMYV ou de BChV. Cependant les isolats viraux identifiés chez B. maritima sont apparus notablement divergents par rapport à ceux présents dans les cultures de betterave, suggérant l'existence de barrières limitant les flux viraux entre ces différentes betteraves. Ces données semblent exclure un rôle important de B. maritima en tant que réservoir, même si cette plante est un hôte régulier de A. fabae.
- Aucun des 4 virus de betterave n'a été retrouvé chez le colza. Ce résultat est confirmé par des analyses plus larges conduites dans le cadre du PPR CPA Deep Impact et qui ont porté sur un échantillonnage de 50 parcelles de colza en 2022 et 2023 en Bretagne, Bourgogne et Occitanie (total de 4800 plantes). Ce résultat est conforté par l’absence d’infection du colza par chacun des 4 virus suite à des inoculations en conditions contrôlées au laboratoire. Ces données repoussent l'idée que le colza puisse être un réservoir pour les virus de la betterave
- Parmi les 17 autres espèces végétales analysées, des virus de la betterave n'ont été identifiés que chez la phacélie (2 des 6 populations échantillonnées) et la féverole (1 des 4 populations). On retrouve également chez la phacélie d'autres virus transmis par pucerons, dont le Turnip yellows virus infectant le colza et le Soybean dwarf virus infectant des légumineuses. Quant à la féverole, le BtMV a été détecté dans une des quatre populations analysées, ce qui pourrait faire de cette culture un réservoir de ce virus, puisqu’elle est aussi un hôte très apprécié par A. fabae.
- Les données BeetRes sont venues compléter les données du projet Resaphid. L’identification morphologique (et moléculaire en cas d’ambiguïtés) de pucerons Myzus persicae a montré qu'il est présent sur 25 espèces botaniques différentes, le colza et les moutardes étant des réservoirs majeurs de ce puceron. Il a également été retrouvé assez régulièrement sur phacélie et véronique, ce qui pourrait placer la phacélie au carrefour de la circulation de nombreux virus transmis par pucerons, dont ceux de betterave.
Au final, et même s'ils doivent maintenant être confirmés au travers du projet RediViBe, les résultats du projet BeetRes ont permis de proposer un rôle central de la betterave elle-même comme réservoir (repousses, cordons de déterrage, cultures porte-graines), d'éliminer l'hypothèse d'un rôle du colza en tant que réservoir de virus et de lever le voile sur un rôle potentiel de la phacélie. Ces résultats ont dès à présent conduit à de nouvelles recommandations en direction des producteurs pour une gestion des réservoirs de jaunisses.