Accueil / Collaborations / Syppre / Témoignage d’agriculteur Syppre dans le Berry
Agriculteur impliqué dès le départ dans la co-conception des systèmes de culture mis en place sur la plateforme Syppre dans le Berry, Matthieu Jeanneau est pragmatique. Son système est en perpétuelle réflexion. Il estime que Syppre pourra l’aider à opérer les transitions nécessaires.
« En résumé, mon système de culture est basé sur des rotations qui comprennent un maximum de céréales à paille, agrémentées par un protéagineux et un oléagineux », déclare Matthieu Jeanneau. Agriculteur depuis 15 ans, Matthieu est installé à Saint-Valentin (Indre), entre Issoudun et Châteauroux, sur une exploitation de 350 hectares divisée en deux zones distantes de 15 km : la moitié sur des argilo-calcaires moyens typiques de la Champagne berrichonne ; l’autre moitié sur des limons plus ou moins argileux hydromorphes drainés. Ces deux zones se complètent bien en termes de conditions pédoclimatiques en hiver et au printemps. Le climat de la région est de type « océanique dégradé », c’est-à-dire comportant des étés secs, des coups de chaleur et une pluviométrie de plus en plus erratique.
Matthieu Jeanneau est membre d’un groupement d’employeurs avec deux autres agriculteurs, ils possèdent du matériel en commun (Cuma, copropriété) pour cultiver au total 1 260 hectares. Il définit précisément les atouts de son exploitation : « une bonne fertilité des sols, un bon niveau de productivité, une bonne maîtrise de la commercialisation, un partage des moyens de production et des expériences, une grande indépendance, une sécurisation aux plans agronomique et économique ». Son assolement est distinct selon les deux zones de l’exploitation : sur les argilo-calcaires, lentille (remplacée partiellement par le tournesol)/blé tendre/colza/blé tendre/orge d’hiver ; sur les limons, pois d’hiver (en réduction, remplacé par du trèfle porte-graine ou un autre protéagineux)/blé dur/blé tendre/colza/blé tendre.
« La rotation est fixée depuis 10 ans, explique Matthieu, mais elle n’est pas figée dans le marbre, je suis en perpétuelle réflexion ». Il insiste : « tout est le fruit d’une réflexion, d’un pragmatisme lié à l’agronomie, à la fertilité des sols, à la matière organique, à la séquestration du carbone ». Chaque culture, chaque variété a une explication sur l’exploitation. Par exemple, la succession blé dur/blé tendre est moins risquée que blé tendre/blé dur car le blé dur derrière un pois bénéficiera de son apport d’azote et il est meilleur précédent pour le blé tendre que l’inverse, etc. Il pratique les couverts en interculture d’une manière la plus systématique possible : radis/phacélie derrière pois, trèfle d’Alexandrie/radis/féverole entre deux pailles, etc.
Matthieu Jeanneau ne se retrouve ni dans une idéologie du passé (« blé/orge/colza sur labour intégral»), ni dans un rêve (« un assolement sur 10 ans » avec des cultures sans débouché économique). Il connaît par ailleurs les points d’amélioration de son système de culture : « développer les cultures de printemps, ce qui n’est pas simple en sols delimons hydromorphes où il est difficile de rentrer au printemps ». Il en précise surtout les points sensibles : « le recours aux produits phytosanitaires, et le glyphosate en particulier ». En effet, Matthieu se pose la question de la faisabilité de couverts d’interculture courte sans destruction chimique. Car le semis direct sécurise la levée des couverts, mais il n’est pas possible si les adventices ne sont pas détruites chimiquement après la récolte.
« Les injonctions contradictoires formulées par des personnes éloignées de la terre à l’égard de notre métier nous amènent à douter sur l’avenir même de nos exploitations. ». Passionné, il poursuit : « Nous devons respecter les volontés du consommateur, mais notre vocation première est de nourrir et pas de fournir une réserve naturelle pour les charançons, cicadelles, pucerons, chardons, coquelicot ou bleuet aussi beau soient-il ! ».
Et Syppre dans tout cela ? « Le projet fait partie de ce qui se fait de bien, il pose de vraies questions, il y a de vrais enjeux ». Matthieu Jeanneau a suivi le projet dès sa mise en place, il fait partie du réseau des agriculteurs, il se rend fréquemment sur la plateforme, il y emmène des apprentis ou stagiaires et il réalise des essais complémentaires sur son exploitation. « Nous avons besoin de Syppre pour nous aider dans la transition de nos exploitations », affirme Matthieu. « Par exemple, si je mets un tournesol derrière un maïs, le rendement sera faible mais c’est un bon compromis agronomique pour garantir la propreté des cultures qui viennent derrière. Syppre permettra d’appréhender toutes les conséquences de tels choix y compris économiques ».
Mais, il garde un oeil critique : « Syppre nous emmène vers des concepts intéressants, quelquefois délicats, en souhaitant qu’il prenne les risques à notre place ». Par exemple, il ne voit pas comment se passer aujourd’hui d’un insecticide sur colza à l’automne. Comment concilier les trois piliers de Syppre (productivité, rentabilité, environnement) ? « Il y a encore des marges de manoeuvre, dit Matthieu, mais pas en deçà d’une certaine limite qui mettrait en péril la production et par là même notre vocation… C’est une question de concurrence loyale dans le contexte international ». Il est trop tôt, mais Syppre devrait apporter des réponses d’ici 4 ou 5 ans selon lui.
L’agriculteur dresse d’emblée le bilan de son système de culture. « Au plan agronomique, au bout de 20 ans, on obtient une structure du sol magnifique ! Et Syppre va nous donner, entre autres, les moyens de la mesurer. Au plan économique, on ne fait pas mieux qu’en monoculture, même si on produit 10 quintaux de mieux en maïs assolé. Quant à l’organisation de l’exploitation, le système diversifié offre une meilleure répartition du temps de travail tout au long de l’année, mais exige du matériel spécifique et des interventions décalées par rapport à celles de la monoculture ».
Quel est l’impact de la démarche ? Lorsqu’il emmène ses élèves, pour la plupart fils d’agriculteurs en monoculture de maïs, sur la plateforme Syppre, Jean-Marc Pedebearn leur fait parcourir les 8 systèmes innovants. « Ils sont soulagés quand ils reviennent au point de départ sur le système témoin ! », avoue-t-il. Cependant, il constate que ses étudiants, tout comme leurs parents, sont très tranchés dans leurs pratiques : traditionnelle avec la charrue ou bien en rupture avec un respect du sol dans le sens d’une agriculture de conservation. Ils ne sont en tous cas jamais mitigés. Et, par ailleurs, il constate une plus grande évolution vers la diversification dans les secteurs où la monoculture s’avère plus délicate. « La personne intéressée est celle qui est en réflexion, Syppre sert alors à conforter son choix ». Pour Jean-Marc Pedebearn, Syppre est devenu une occupation permanente.
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