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Jaunisse : faut-il craindre le puceron noir Aphis fabae ?

En ce début de mois de mai, les infestations des parcelles de betteraves par le puceron noir de la fève Aphis fabae sont déjà très importantes. Cette espèce est capable d’affaiblir les jeunes plantes en cas de colonisation importante, mais qu'en est-il de ses capacités de transmission des différents virus de la jaunisse ?

Les colonies de puceron noir qui se développent sur les feuilles de betterave peuvent occasionner des dégâts directs en prélevant de la sève lors des piqûres d'alimentation. Les symptômes les plus classiques sont un recroquevillement des feuilles fortement infestées et un ralentissement de la croissance des betteraves. Ces pucerons produisent également du miellat à l’origine du développement de la fumagine, c’est-à-dire de moisissures noires sur la face inférieure des feuilles. 

L'ITB vous explique dans cet article pourquoi il ne faut pas les éliminer. D'abord, ils attirent les auxiliaires qui seront bénéfiques pour contrôler Myzus persicae. Leur rôle dans les épidémies de jaunisse est controversé. Cet article propose donc de faire le point sur les connaissances scientifiques disponibles relatives aux capacités de transmission des différents virus de la jaunisse par Aphis fabae.

Commençons par rappeler qu'il existe 2 types de jaunisse qu'il est nécessaire de bien distinguer car les virus impliqués sont très différents malgré leurs noms similaires et leur épidémiologie l'est également.

  • La jaunisse modérée est causée par 3 virus du genre des polérovirus : le BMYV, le BChV et le BWYV-USA. Ils sont génétiquement très proches du virus de la jaunisse du navet (TuYV) sur colza. La jaunisse modérée est de loin la plus fréquente sur le territoire mais on ne retrouve principalement que 2 virus sur les 3, à savoir le BMYV et le BChV.
  • La jaunisse grave est causée par un seul virus, le BYV, du genre des closterovirus, bien plus éloigné génétiquement des 3 autres. Sa prévalence est également beaucoup plus faible en France.

Quel risque vis-à-vis de la jaunisse modérée ?

D'après les études disponibles, les capacités de transmission des 2 principaux virus de la jaunisse modérée (BMYV et BChV) par A. fabae sont pratiquement nulles. Différentes expérimentations ont en effet été conduites par plusieurs équipes de recherche (voir détail ci-après) qui arrivent systématiquement à cette conclusion, quelle que soit la forme des pucerons (aptère ou ailée) étudiée et les modalités expérimentales. La contribution d'A. fabae dans la dissémination des virus au sein d'une parcelle semble également négligeable par rapport à celle de M. persicae.

En tout état de cause, le puceron noir semble représenter un risque minime voire nul en ce qui concerne l'infection primaire des parcelles de betterave par la jaunisse modérée. Ses capacités supposées de dissémination de la jaunisse modérée dans les parcelles déjà contaminées devraient également être reconsidérées.

Étude 1 : Jadot, 1976

Dans cette étude, conduite au Centre Agronomique de Gembloux en Belgique (Jadot, 1976), les taux de transmission du BMYV ont été comparés pour une dizaine d'espèces de pucerons dont Aphis fabae, à partir d'une diversité de plantes sources et de plantes tests, dont Beta vulgaris. Les taux de transmission du BMYV à la betterave par A. fabae étaient tous nuls, quelle que soit la plante source utilisée. Cet ouvrage mentionne également les résultats d'une étude anglaise plus ancienne (Cockbain and Heathcote, 1964) comparant le pouvoir infectieux des formes ailées d'Aphis fabae et de Myzus persicae après un vol en provenance de betteraves infectées, vis-à-vis de la transmission des virus de la mosaïque, de la jaunisse grave et de la jaunisse modérée. Pour la jaunisse modérée, le pouvoir infectieux de M. persicae se situe autour de 70% alors que celui d'A. fabae est proche de 0% (voir figure ci-dessous).

Étude 2 : Schliephake et al., 2000

Plus récemment, une équipe allemande a testé la transmission du BMYV de plante à plante, à partir de pucerons nourris pendant 24h sur des feuilles de betteraves infectées par ce virus, qui ont ensuite été transférés sur de jeunes plantules de betterave (5 pucerons par plante) où ils se sont alimentés pendant 48h. Le virus a ensuite été détecté par test ELISA 8 semaines après inoculation. Les résultats, présentés ci-dessous, révèlent un taux de transmission moyen de 28,6% pour M. persicae, de 1,8% pour Macrosiphum euphorbiae (une autre espèce de puceron vert fréquemment rencontrée sur les betteraves) et de 1,1% pour A. fabae (1 seule plante infectée sur 95). Pour les autres espèces testées, le taux de transmission était nul.

Etude 3 : Kozlowska-Makulska et al., 2009

Enfin, des chercheurs polonais et français ont effectué des tests similaires à l'équipe allemande, en faisant varier certains paramètres et cette fois en testant les 2 espèces virales majoritaires : le BMYV et le BChV. Les pucerons ont également acquis les virus pendant 24h sur des feuilles de betterave infectées, puis ont été transférés sur des plantules de betterave où ils ont eu cette fois 72h pour transmettre les virus. 6 pucerons par plante ont été déposés pour M. persicae, 12 pour M. euphorbiae et Myzus ascalonicus, et 20 pour A. fabae, afin de prendre en compte les faibles capacités de transmission supposées de cette espèce. Les tests ELISA ont été réalisés 3 à 4 semaines après inoculation. Les résultats montrent une capacité de transmission moyenne de 100% pour M. persicae, de 90% pour M. euphorbiae et de 0% pour A. fabae et M. ascalonicus. 

Dans les 3 études présentées ici, toutes concluent que les capacités de transmission des virus de la jaunisse modérée par A. fabae sont pratiquement nulles. Dans la dernière étude, jusqu'à 100 aptères noirs ont été placés par plantule de betterave (données non publiées) et ceux-ci n'ont tout de même pas été capables de transmettre différents clones de BMYV et de BChV. Il semble aussi d'après l'étude de Jadot que les formes ailées aient d'aussi mauvaises capacités de transmission que les formes aptères.

Pour compléter à propos de l'aspect épidémiologique, une étude anglaise de 1953 montrait déjà le rôle négligeable d'A. fabae dans la dissémination des virus de la jaunisse au sein d'une parcelle, qui était selon eux réalisée majoritairement par les individus ailés de M. persicae (Watson and Healy, 1953). Une des explications retenues était notamment les habitudes d'alimentation sédentaires des pucerons noirs, les individus ailés d'A. fabae ayant tendance à rester sur la première plante qu'ils rencontrent. A. fabae, bien qu'elle soit l'espèce de puceron la plus abondante sur les betteraves, ne devrait donc plus être considérée comme un vecteur important de la jaunisse modérée.

Quel risque vis-à-vis de la jaunisse grave ?

La situation est assez différente en ce qui concerne la jaunisse grave. D'après une étude américaine (Limburg et al., 1997), les capacités de transmission du BYV par A. fabae sont en moyenne de 34% et identiques pour les individus aptères comme ailés (voir détail ci-après). 

A. fabae est donc un bon vecteur de la jaunisse grave et compte tenu de la taille importante de ses populations, il peut contribuer à la dissémination du BYV. Le vecteur principal de la jaunisse grave reste cependant M. persicae, dont les capacités de transmission et de dissémination sont très supérieures à A. fabae. D'autre part, le virus de la jaunisse grave est perdu dans les 2 jours suivant son acquisition, ce qui freine sa dissémination. Par ailleurs, l'ITB et la filière, en collaboration avec Syngenta, suit la présence des différents virus de la jaunisse en France grâce à un réseau de pièges englués répartis sur tout le territoire et dont les pucerons capturés sont analysés au laboratoire. A ce jour, le BYV n'a jamais été détecté alors qu'un grand nombre d'individus ailés d'A. fabae ont été capturés sur les plaques.

Détail de l'étude : Limburg et al. 1997

Les auteurs ont étudié les taux de transmission du BYV par A. fabae et M. persicae en conditions contrôlées avec différentes durées d'acquisition et d'inoculation, et en comparant des formes aptères, ailées et différentes populations clonales. Les résultats montrent que :

  • Le taux de transmission du BYV par A. fabae est en moyenne de 34%, compris entre 28 et 40% selon les populations clonales étudiées
  • M. persicae transmet le BYV 2 fois plus efficacement qu'A. fabae, avec un taux de transmission moyen de 60%
  • Il n'y a pas de différence significative en termes de transmission entre les formes ailées et aptères d'A. fabae

De plus, pour les 2 espèces étudiées, les durées optimales d'acquisition et de transmission virales sont de l'ordre de 6h. Pour la transmission uniquement, elle devient minimale après 24h et nulle après 48h, ce qui signifie que le virus est perdu par les pucerons (M. persicae et A. fabae) dans les 2 jours suivant l'acquisition (voir graphe ci-dessous).

Références

  • Jadot, R. Aspects des épidémies de jaunisse et de mosaïque de la betterave. Rev. l’Agriculture 3, 62 p. (1976).
  • Cockbain, A. J. and Heathcote, G.D. Transmission of sugar beet viruses in relation to the feeding probing and flight activity of alate aphids. Proc. int. Cong. Ent., London, 12 : 521-523 (1964).
  • Schliephake, E., Graichen, K. & Rabenstein, F. Investigations on the vector transmission of the Beet mild yellowing virus (BMYV) and the Turnip yellows virus (TuYV). J. Plant Dis. Prot. 107, 81–87 (2000).
  • Kozłowska-Makulska, A. et al. Aphid transmissibility of different european beet polerovirus isolates. Eur. J. Plant Pathol. 125, 337–341 (2009).​​​​
  • Limburg, D. D., Mauk, P. A. & Godfrey, L. D. Characteristics of Beet Yellows Closterovirus Transmission to Sugar Beets by Aphis fabae. Phytopathology 87, 766–771 (1997).
  • Watson M. A. and Healy M. J. R. The spread of beet yellows and beet mosaic viruses in the sugar beet root crop. Annals of Applied Biology 40(1):38 - 59 (1953).
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