ITB Institut Technique de la betterave

 Accueil / Tous les articles / Article

Explorer les facteurs de risque de la jaunisse de la betterave

Identifier les facteurs intrinsèques et conjoncturels du risque jaunisse doit permettre de déterminer, à la résolution de la parcelle ou du bassin de production, d’une part la situation sanitaire attendue localement quelle que soit l’année et d’autre part la situation sanitaire attendue en fonction des conditions particulières qui ont court une année donnée dans un lieu donné. Une telle connaissance est utile pour mieux anticiper le risque encouru et calibrer les mesures prophylactiques. 

Article rédigé par Dorian Chauvin et Samuel Soubeyrand, INRAE, BioSP

L’apprentissage automatique pour identifier les facteurs de risque sur de grands territoires

De nombreuses approches fondées sur diverses observations à diverses échelles peuvent être mises en œuvre pour identifier les facteurs d’un risque sanitaire. Dans le projet SEPIM financé par le PNRI Jaunisses de la Betterave, une démarche s’appuyant sur les techniques d’apprentissage automatique supervisé est appliquée afin d’identifier les facteurs de risque les plus significatifs à la résolution de la parcelle. Dans ce cadre, on cherche à expliquer le pourcentage de jaunisse observé à divers moments de l’année en fonction de variables multiples liées à l’environnement, aux conditions météorologiques, à l’occupation du sol, aux connectivités via les mouvements atmosphériques mais aussi à des informations locales sur l’abondance de pucerons et les mécanismes de régulation (auxiliaires et pratiques agricoles). L’apprentissage automatique permet de comparer l’influence potentielle d’un grand nombre de variables explicatives et donc d’éviter d’avoir un a priori fort sur les déterminants des facteurs de risque. Cette caractéristique est intéressante car il peut être difficile, à l’échelle des grands territoires auxquels nous nous intéressons et auxquels jouent et interagissent de nombreux processus biophysiques, d’avoir de tels a priori malgré d’éventuelles connaissances issues d’expériences passées généralement menées à d’autres échelles. Toutefois, on peut bien entendu incorporer parmi les variables comparées des variables qui ont été décrites comme influentes, à l’image des températures hivernales jouant sur la dynamique des populations de pucerons et par conséquent sur la jaunisse diffusée entre les parcelles et en leur sein par les pucerons.

Mobiliser un grand nombre de facteurs de risque putatifs et de modèles

La sévérité de la jaunisse (Figure 1) et quelques variables explicatives issues d’observations au niveau des parcelles ont été extraites de la base de données VIGICULTURE pour les années 2019-2021, les autres variables explicatives ayant été extraites des bases SAFRAN, WORLDCLIM, OSO, RPG et du logiciel tropolink. Une variable uniforme générée de manière aléatoire sans lien avec le pourcentage de jaunisse a également été générée pour jouer le rôle de contrôle. Après étude des corrélations visant à supprimer certaines variables très corrélées entre elles, 154 variables ont été retenues. Leurs influences (appelées importances dans le cadre de l’apprentissage automatique) ont été comparées via 97762 modèles obtenus en appliquant sept types de modèles (des arbres de décisions et des modèles de régression) à diverses combinaisons de variables. Ces combinaisons ont été obtenues par une approche de sélection dite forward dans laquelle on ajoute les variables les unes après les autres à partir du meilleur modèle à deux variables, et ce jusqu’à saturation de la performance du modèle. 

Figure 1. Distribution annuelle de la sévérité de jaunisse à la résolution parcellaire sur la base des données extraites de VIGICULTURE (sévérité mesurée par un pourcentage de surface de la parcelle jaunie et représentée dans une échelle non linéaire). La figure illustre le caractère atypique de l’année 2020 mettant vraisemblablement en jeu, plus que les autres années, des facteurs conjoncturels.

Calculer l’importance des facteurs de risque

L’importance de chaque variable a été calculée sur la base de tous les modèles considérés (plutôt que de se fier à un seul modèle), en pondérant toutefois les modèles en fonction de leurs performances (c’est-à-dire leurs capacités à prédire la sévérité de la jaunisse). Parmi les variables importantes, on retrouve la somme des degrés jours en hiver, la somme des degrés jours entre le 01/01 et 14/02 et la température moyenne de janvier à mars (famille `hiver’ sur la Figure 2), la distance aux parcelles porte-graines (famille `connectivités’), l’humidité relative 1 mois avant l’observation (famille `eau’). Le taux de plantes avec pucerons n’arrive qu’en 11ème position (sur 154) en termes d’importance, mais les variables susmentionnées en lien avec la rigueur de l’hiver sont connues pour être déterminantes pour l’abondance de pucerons et fournissent possiblement des proxis moins incertains de cette abondance au moment des infections que le taux de plantes avec pucerons tel qu’observé en champ.

 

Figure 2. Importance des familles de variables vis-à-vis de la sévérité de jaunisse. Les 154 variables (facteurs de risque putatifs) ont été a priori classées dans 13 familles de variables représentées par les 13 barres du graphe. Pour chaque barre, l’extrémité basse donne l’importance minimale dans la famille, l’extrémité haute la somme des importances, le trait orange l’importance moyenne et le trait vert l’importance maximale. 

Comprendre comment jouent les facteurs de risque

Pour les variables parmi les plus importantes (ou influentes), on peut évaluer quantitativement les relations potentiellement non linéaires qui les lient avec la sévérité de la jaunisse (Figure 3), et ce en tenant compte de l’incertitude sur le modèle et sur l’effet de la variable pour un modèle donné (ce qui peut expliquer en partie le profil parfois accidenté des courbes). On décèle ainsi un effet positif du taux de pucerons sur la sévérité, avec une augmentation d’environ 10% ou plus par rapport à la moyenne pour des pourcentages de plantes avec pucerons de plus de 30%. Les hivers chauds ont un effet fortement positif, avec une température moyenne seuil légèrement au-dessus de 7°C. Un profil comparable est visible pour la température moyenne de mars à juin, avec une température seuil autour de 13°C. L’humidité relative et l’évapotranspiration potentielle ont des effets d’amplitudes comparables mais inversés, avec un accroissement régulier de la sévérité quand l’humidité relative décroît à partir de 70% (de l’ordre de +2,7% de sévérité par % d’humidité) ou quand l’évapotranspiration croît à partir de 3,5mm (+15% par mm supplémentaire). L’effet de la proportion de céréales à pailles dans un rayon de 5km est moins fort, mais on décèle une tendance à l’augmentation de la sévérité avec cette proportion (de l’ordre de +7% par dixième supplémentaire de céréales à pailles).

Figure 3. Effet des variables parmi les plus importantes des familles `pucerons’ (pourcentage de plantes avec pucerons), `hiver’ (température moyenne de janvier à mars), `printemps’ (température moyenne d’avril à juin), `eau’ (humidité relative et évapotranspiration potentielle un mois avant l’observation de la jaunisse dans la parcelle) et usage du sol (pourcentage de céréales à pailles dans un rayon de 5km). Les traits verticaux bleus donnent les intervalles de confiance empiriques à 95% de l’augmentation de la sévérité prédite de jaunisse par rapport à la moyenne. 

Perspectives : tester des hypothèses, prédire le risque et atténuer les épidémies de jaunisse 

L’identification des facteurs de risque, via l’approche statistique présentée ci-dessus, n’est qu’une étape. Sur le plan de la science, l’approche proposée et les résultats qui en découlent font émerger des hypothèses que l’on peut (i) discuter voire confirmer via des connaissances scientifiques sur le pathosystème « betterave – puceron – virus de la jaunisse » ou bien (ii) tester via des approches expérimentales dédiées, généralement à des échelles moins larges. Sur le plan opérationnel, (iii) certains des facteurs identifiés peuvent être utilisés comme des leviers de mitigation du risque et (iv) les modèles développés peuvent être mis à contribution pour prédire le risque jaunisse à des horizons temporels multiples et en tout lieu (pas seulement aux endroits où des observations ont été faites). La prédiction du risque jaunisse est essentielle pour évaluer et anticiper la nécessité de prendre des mesures de protection contre les pucerons, adapter ces mesures en fonction du niveau de risque et in fine atténuer les épidémies de jaunisse tout en maintenant un niveau de production élevé. Le projet SEPIM vise justement la mise à disposition d’outils de prédiction concernant la jaunisse mais également les pucerons.

Remonter en haut de la page

Agrément conseil de l’ITB à l’utilisation des produits phytosanitaires n° 7500002.
Le portail EcophytoPIC recense les techniques alternatives à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques.


Organisme agréé Crédit d'impôt Recherche


L'Institut Technique de la Betterave est
membre du réseau Acta

Institut Technique Agricole Qualifié
par le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation